Lorsque Grant Bruno prononcera son discours liminaire à l’Université McGill, le 3 décembre, à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées 2025, il invitera le public à concevoir la neurodiversité autrement : non pas par le prisme des déficiences, mais par celui de l’appartenance.
Père d’enfants autistes, le conférencier s’appuiera sur son expérience et sur ses recherches, ancrées dans les savoirs nêhiyaw (Cris des plaines) pour explorer le potentiel transformateur de la vision du monde autochtone dans notre façon d’accompagner les enfants neurodivergents.
L’importance des relations
Selon Grant Bruno, professeur adjoint au Département de pédiatrie de l’Université de l’Alberta et membre de la Nation crie de Samson, la différence entre l’approche occidentale et autochtone de la neurodiversité tient à la manière dont chacune définit l’enfant.
« Dans le système occidental, on vous apprend à rechercher les déficiences, à trouver ce qui ne va pas », dit-il. Il note que le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux emploie d’ailleurs un langage clinique qui présente l’autisme comme un problème à corriger.
« Notre approche autochtone consiste plutôt à regarder ce qui va bien chez l’enfant. Nous reconnaissons les défis, mais choisissons de valoriser ses talents. Comment pouvons-nous les apprécier à leur juste valeur? »
Le chercheur marie les cadres cliniques occidentaux et les savoirs nêhiyaw pour créer des soins adaptés à la culture. Responsable académique de la santé des enfants autochtones à l’Institut de recherche sur la santé des femmes et des enfants à Edmonton, il dirige des projets communautaires qui mettent en valeur les aptitudes des enfants tout en s’attaquant aux obstacles systémiques. L’initiative Indigenous Caregiving Collective en est un bon exemple.
Citons en outre la création d’un « tipi sensoriel », espace calme et inclusif aménagé lors de pow‑wow et d’activités communautaires pour les enfants présentant des différences neurodéveloppementales. Les familles ont indiqué que les espaces culturels, tels que les cérémonies, étaient beaucoup moins intimidants pour leurs enfants neurodivergents que les écoles ou les épiceries.
« Les familles se sentaient en sécurité, fait valoir le professeur Bruno. Les cérémonies culturelles étaient perçues comme inclusives et accueillantes. C’est une preuve sur laquelle nous pouvons nous appuyer. »
Inclusion et appartenance : éléments clés de la guérison
Grant Bruno précise que la guérison et le soutien sont profondément relationnels. Ses recherches et son travail communautaire remettent en question l’idée selon laquelle le soutien doit être standardisé ou détaché.
« Je considère les enfants comme faisant partie d’un système plus large, lié à la famille, à la collectivité et à l’école », explique-t-il.
Ses recherches doctorales auprès de proches aidants s’occupant d’enfants autistes dans les communautés des Premières Nations, notamment les Six Nations de la rivière Grand et Maskwacîs, ont renforcé cette approche. En parlant de ses expériences et en écoutant celles des autres, il a compris que les familles prises en charge se sentent souvent isolées, et que le sentiment de confiance est extrêmement important. Dans un contexte où les relations sont solides, ces familles peuvent être plus à l’aise de transmettre des idées utiles à l’ensemble de la société canadienne.
Cette approche relationnelle s’applique également aux soins de santé et à l’éducation. Les soins adaptés à la culture aident les familles autochtones à se reconnaître dans les institutions, poursuit-il.
« La simple présence de personnel autochtone dans une clinique (réceptionniste, infirmière, médecin) peut susciter un sentiment d’appartenance chez les familles. » Autoriser les pratiques traditionnelles dans les hôpitaux, comme la purification par la fumée, aide celles-ci à se sentir encore mieux accueillies.
Cela dit, des obstacles systémiques persistent. Les limites entre les compétences fédérales et provinciales privent souvent les enfants de soutien. La plupart des services liés au handicap et à la santé relèvent des provinces, tandis que les familles vivant dans les réserves sont sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Des enfants qui n’habitent qu’à quelques kilomètres l’un de l’autre peuvent avoir un accès totalement différent aux soins.
« C’est injuste, déplore Grant Bruno. Certaines familles autochtones doivent se déraciner et perdre le soutien de leur famille simplement pour obtenir des services de base. »
Ces problèmes créent une confusion quant au financement et au suivi.
« Les familles peuvent attendre des années avant d’obtenir un diagnostic et de recevoir de l’aide, souligne-t-il. Une intervention précoce change tout, pour l’enfant, la famille, voire l’économie. Nous avons besoin de systèmes qui ne font pas attendre les familles pendant des années avant qu’elles puissent obtenir du soutien. »
Une vision d’espoir
Malgré les défis, Grant Bruno ne baisse pas les bras : « Je suis optimiste de nature. Je sais que les familles, autochtones ou non, font chaque jour un travail extraordinaire avec leurs enfants. C’est ce qui me donne de l’espoir. »
Il se réjouit de voir des approches inspirées des savoirs autochtones gagner en popularité chez les allochtones.
« Voir la beauté en chaque enfant n’est pas une idée propre aux Autochtones, observe-t-il. De nombreuses cultures partagent cette vision. Mon rôle est de transmettre les enseignements que j’ai reçus, et qui ne m’appartiennent pas, à ceux qui en ont besoin. »
Aux yeux du chercheur, décoloniser la compréhension de la neurodiversité ne signifie pas seulement changer les systèmes, mais aussi rétablir les liens.
« Pour moi, les relations passent avant le travail. Je prends les enseignements qui m’ont été transmis par les Aînés et lors des cérémonies, et je les applique à mon travail, qui intègre alors, de façon naturelle, l’aspect relationnel. La vision du monde des Cris, et même notre identité, sont centrées sur les relations que nous construisons et entretenons. »
Le programme de la Journée internationale des personnes handicapées 2025 de l’Université McGill est organisé par l’Équipe-conseil en équité du Bureau du provost et vice-recteur principal aux études, en partenariat avec le Bureau des initiatives autochtones et la Faculté de médecine et des sciences de la santé et avec le soutien de l’unité Communications et relations institutionnelles et de la Faculté de gestion Desautels.
Une projection spéciale du film « Ils sont sacrés » suivie d’un dialogue, organisée par le Bureau de l’Initiative autochtone, le Réseau pour transformer les soins en autisme (RTSA) et la Plateforme canadienne de formation en recherche neurodéveloppementale (CanFRN), a également eu lieu au Neuro le 3 décembre, offrant un espace de réflexion et de discussion en lien avec ces thèmes.